En 1872, dans une lettre à son amie Mme Roger des Genettes, Flaubert ne cachait pas ses intentions de nuire: «Je médite une chose où j'exhalerai ma colère. Oui, je me débarrasserai enfin de ce qui m'étouffe. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent, dussé-je m'en casser la poitrine; ce sera large et violent. «Ce fut le roman des deux bonshommes: deux greffiers s'installent à la campagne pour se consacrer au savoir dont ils explorent tous les domaines. Puis le dégoût les saisit et ils reviennent à leur occupation première: copier. Interrompu par la mort de Flaubert en 1880, Bouvard et Pécuchet est le livre de toutes les vengeances, croisade encyclopédique contre la bêtise universelle, fable philosophique à la fois comique et «d'un sérieux effrayant», la plus radicale peut-être et la plus impitoyable de toutes ses œuvres. Mais le roman contient un secret: la formule d'une métamorphose qui convertit la bêtise en lucidité et l'assujettissement en libération.